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La Démocratie africaine : cas de la Guinée

mardi 9 août 2016, par Abou KATTY

I : Introduction

Nous nous limiterons ici à quelques aspects saillants et à des pays pris comme modèles, le cas de la Guinée sera abordé en particulier.

- Susceptible d’interprétations dans son contenu syntaxique et dans sa mise en œuvre effective, la démocratie est vue plus comme un système politique de gestion de la vie d’un pays, que comme un simple régime.

- C’est un idéal à atteindre dans les principes, les débats, les institutions, permettant d’appliquer avec justice les décisions prises par la majorité.

- Pour l’Afrique, cinquante ans après les indépendances, la question de la démocratie reste posée. C’est un problème aigu qui évolue à la carte, avec des « maîtres » du moment qui l’adaptent systématiquement à leur convenance, conduisant parfois à des régimes dictatoriaux.

- Une autre caractéristique de la démocratie africaine, est qu’elle peut être imposée et adaptée à la sauce spécifique du lieu, du moment, des leaders, c’est la « démocratie dite des plus forts », vrais maîtres des lieux.

II : La Démocratie

II-1/ Considérations générales

- La démocratie est tributaire de la culture et du contexte socio-économique des pays. Les principes démocratiques fondamentaux, comme la liberté d’expression, de pensée, de rassemblement, de religion, d’égalité en droits et devoirs, etc,…, sont supposés être présents et non exclusifs. Ils sont perçus différemment par les deux blocs de l’Ouest avec un accent sur la liberté et de l’Est qui privilégie l’égalité.

- Pour renforcer cette démocratie il existe en plus des droits, des devoirs comme celui de s’informer et de formuler ses opinions en acceptant que les autres puissent émettre les leurs, sans être eux-mêmes obligés de les respecter, ce que Voltaire exprime en disant :
« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire ».

- La déclaration universelle des droits de l’homme qui fait consensus à l’ONU, est un mixage adapté des aspects de cultures occidentales avec ceux d’autres cultures. De plus tout système politique est considéré comme un système de pouvoir, qui comporte nécessairement des exclusions et des différenciations.

- Aussi la démocratie en tant que système politique, ne peut-elle pas être considérée comme absolue mais plutôt comme évolutive.

- Qu’en est-il de l’Afrique en général et de la Guinée en particulier ?

II-2/ Démocratie africaine

- Depuis quelque temps il règne sur le continent africain une sorte de tsunami géopolitique, qui intéresse la diplomatie mondiale et met en branle les médias.

- On a des tas d’informations comme jamais auparavant, le tout ponctué par de nombreux évènements politiques, sociaux, religieux, économiques, militaires, etc…, des évènements incroyablement imbriqués, en apparence difficile à démêler.

II-2-1/ Quelques généralités

- La démocratie africaine à la lumière de ce qui est dit plus haut, ne peut être que pluriel. Chaque pays allant à son rythme, selon ses moyens, ses acquis, avec parfois des accidents de parcours plus ou moins sérieux, aux conséquences terribles pour les populations.

- Le partage de l’Afrique à la conférence de Berlin par les puissances européennes à la fin du 19ème siècle, a conduit à des regroupements d’ethnies éclatées pour former des Etats multinationaux dans des frontières arbitraires.

- Des Etats dont les différents peuples sont dans des modes de vie parfois inconciliables, ne souhaitant parfois pas forcément vivre ensemble. Il faut ajouter à cela la douloureuse épisode de la traite des noirs et de l’esclavage.

- Aussi est-on le plus souvent, dans un concept de nations à soubassement ethnique renforcé, avec d’énormes difficultés pour l’alternance démocratique, une situation propice à des conflits interethniques, surtout quand il s’agit de partager les pouvoirs économiques et politiques. Cette alternance fonctionne d’autant plus mal, que les pays sont pauvres et que la préoccupation principale des citoyens est d’assurer la sécurité individuelle et l’alimentation, toutes choses pour lesquelles la solidarité ethnique prime sur le lien national.

- Dans une telle lutte pour le pouvoir politique, on cherche surtout à avoir accès aux ressources de l’Etat, qui sont allègrement privatisées par le clan en place.

- Il s’ensuit que l’une des conditions primordiales pour installer la démocratie, est d’ordre économique. Il faut impérativement assurer le minimum vital pour la population, ce qui suppose une gestion et une répartition équitables des richesses du pays.

- Des exemples abondent, particulièrement en Afrique, de régimes politiques renversés par des révolutions sociales de nature économique.

- Les années 1990 ont vu des soulèvements populaires, avec une résistance des classes possédantes qui veulent monopoliser le pouvoir par tous les moyens, entre autres :

  • confiscation des ressources de l’État, lors des campagnes électorales dispendieuses,
  • financement de micro partis,
  • tribunaux spéciaux pour les opposants, avec des charges souvent fantaisistes et peu crédibles,
  • trucage des recensements et des référendums,
  • etc…

- Lorsque la crise atteint un degré trop élevé, les militaires peuvent saisir l’occasion pour se proclamer justiciers et entrer en rébellion, comme cela a été le cas au Niger à l’époque.

- Le poids des personnes de la vieille génération reste important dans les décisions. Appelées « personnes ressources », elles sont souvent bourrées de complexe vis-à-vis des pays colonisateurs. Cet aspect est atténué par la montée de jeunes générations de décideurs politiques et économiques.

- De toutes ces considérations, il ressort que la démocratie africaine est à considérer sous ses aspects politiques, géographiques et surtout économiques.

II-2-2/ Aspects politiques

- On peut ramener l’aspect politique de la démocratie africaine aux multiples structures sociales que compte ce vaste continent. Les traditions sociales, le concept du droit d’aînesse et du respect y afférant, la primauté du conciliabule, l’exigence de palabre avant toute prise de décision, ont curieusement favorisé l’émergence de partis politiques uniques qui ont toujours à leurs têtes, des hommes dits « providentiels ». Des hommes, que les structures et les habitudes sociales ont renforcés dans leurs désirs de puissance et de domination.

- Dans les années 1990, Mobutu au faîte de son pouvoir affirmait : « Il y a des gens qui en veulent à mon fauteuil », des gens choisis par le peuple.

- En règle générale, les rébellions se font souvent sous le couvert d’accès à la démocratie au bénéfice du peuple, avec des pertes en vies humaines et des violations des droits de l’homme. Les protagonistes finissent en règle générale, par trouver autour d’une table une solution au problème posé, solution qui est souvent la mise en place d’un gouvernement d’union nationale.

- Seulement, faute de vraie culture politique et de primauté de l’intérêt général sur l’intérêt particulier, le gouvernement d’union nationale est systématiquement un lieu de lutte d’influence et de préséance pour les parties en présence.

- On a l’impression que les indépendances, au lieu de fortifier les embryons de démocratie tolérée par les puissances coloniales, ont plutôt conduit à dévoyer cette démocratie dans des pays, anglophones comme francophones, qui pratiquaient le multipartisme. Par la suite, des dirigeants qui se proclament « guides éclairés » ou « sages » pour leurs peuples, deviennent des dictateurs purs et durs, imposent par leur seule volonté des systèmes de partis uniques, qui font payer un très lourd tribut à leurs pays qu’ils ralentissent sérieusement dans la marche vers la démocratie, avec le soutien intéressé parfois des grandes puissances.

- Jacques CHIRAC (1) affirmait par exemple en 1990 : « Il y a des régimes où la démocratie est parfaitement respectée : je pense à la Côte d’Ivoire », c’était juste au moment où la dissidence de BAGBO et quelques autres, était très sévèrement réprimée dans ce pays.

- D’autres spécialistes de l’Afrique, sont dans l’excès contraire et soutiennent que l’Afrique laissée à elle seule ne peut pas s’en sortir.

- Ils suggèrent même sa mise sous tutelle, « la tutelle durerait le temps dûment estimé par l’Assemblée générale des Nations–Unies pour que les habitants du pays considéré, soient jugés capables de gérer leurs propres affaires » (2).

- Dans les années 1980 – 1990 la plupart des pays développés, qui ne voyaient le continent africain qu’à travers l’ornière des méfaits des trente années de dictature de partis uniques, avaient comme opinion prédominante que les africains sont incapables de prendre leur destinée en main, que la démocratie a échoué en Afrique et qu’à la limite elle aura besoin d’une certaine forme de nouvelle colonisation à adapter.

- Il est vrai que durant ces années, peu de pays africains sont vraiment démocratiques. La plupart sont sous domination d’un parti unique, de tendance parfois socialo-marxiste, imposant une « dictature du peuple », avec des dirigeants qui se sont parfois battus pour l’indépendance et la démocratie pour leurs pays.

- En d’autres endroits, ce sont coups d’État et confiscation du pouvoir par des militaires.

- Ainsi, entre 1963 et 1987, l’Afrique au sud du Sahara a connu près de quatre vingt (80) coups d’Etat militaires, qui varient au gré des pactes internes aux services de défense du pays.

- On a une sorte de pulsation de démocratisation, avec de temps en temps une amorce de succession dynastique.

- Cependant, même dans ces périodes sombres, on a quelques éclaircies de démocratie dans certains pays, avec des transitions politiques « correctes » (Sénégal, Ghana, Kénya, Afrique du Sud etc...).

- On a en particulier, le Botswana avec son développement économique, sa bonne gouvernance, un multipartisme effectif qui s’appuie sur une démocratie libérale à alternances, un contrepouvoir et un bien être de la population.

- Ce sont là, de vrais contre exemples de ce que l’on a appelé l’afro - pessimisme. 

- Pour nombre d’africains, le modèle occidental de démocratie politique est trop étroit, il est en particulier étranger aux cultures africaines. Les africains se doivent de définir eux-mêmes le sens d’une démocratie bien en relation avec les contextes historiques et culturels, propres à l’Afrique. Une démocratie qui s’appuie sur les traditions participatives du continent, sans occulter pour autant les expériences faites ailleurs par d’autres sociétés démocratiques, comme le respect des droits de l’Homme (sociaux, économiques, politiques), de la liberté d’opinion, de la réduction des écarts entre riches et pauvres par une répartition équitable des ressources du pays, etc...

II-2-3/ Aspects historiques et géographiques

- Avec cinquante trois Etats de dimensions parfois sous critiques et maîtrisant peu leur devenir, l’Afrique est considérée comme parcellisée. Héritage du découpage colonial avec des frontières tracées sans respect des groupements sociaux, conduisant dans beaucoup de pays africains à des ensembles ethniques qui cohabitent difficilement parfois. Cela a une forte incidence négative sur la mise en place, le fonctionnement et la consolidation de la démocratie.

- Sans se polariser sur les torts faits à l’Afrique dans l’histoire de son évolution, on doit admettre que son devenir a été fortement influencé par près de cinq siècles de traite des noirs dans le commerce triangulaire Europe - Afrique - Amériques et de colonisation, qui l’a vidée de quinze à trente millions de ses forces vives, sur une période allant du 15ème au milieu du 19ème siècle. Une vraie saignée, particulièrement pour l’Afrique noire.

- Le Continent ainsi balkanisé, ne pouvait être que affaibli par le phénomène de division clanique et ethnique, phénomène exacerbé par le fait colonial qui a largement utilisé cette balkanisation pour asseoir sa domination.

- A ce sujet remarquons que l’Afrique n’a pas manqué d’opposants, ni à la traite, ni à la pénétration coloniale. Mais le très faible niveau de son développement technologique, les divisions internes entretenues, la réduction de ses forces vives par cette traite, quelques autres raisons sociologiques et économiques, ne lui ont pas permis d’empêcher ces fléaux aux effets dévastateurs pour elle.

- Les sociétés traditionnelles en Afrique, sont des ensembles intégrés dans lesquels tous les actes de la vie avaient des implications politiques, économiques, culturelles, religieuses. L’individu y agit au nom d’une autorité supérieure, qui représente le groupe social. Sa valeur ne s’évalue que par rapport à son groupe social, dont il est toujours partie prenante. En retour, le groupe social doit se mobiliser collectivement pour lui venir en aide en cas de difficulté. S’il y a infraction aux règles du groupe, la sanction qui est infligée est également prise collectivement.

- On peut ainsi affirmer, que la société coutumière est « collectiviste », qu’elle embrasse toute la vie des individus qui la composent, elle est totale.

- Généralement, les dirigeants africains sont très fortement imprégnés de ces valeurs, de ces coutumes. Ils vont en user et abuser, dans des rhétoriques presque toujours axées sur la notion de peuple, une notion qu’ils vont dévoyer comme nous le verrons dans le cas de la Guinée.

- Au système social décrit ci-dessus est venu se frotter sur la durée, la civilisation du colonisateur, dans un choc culturel avec une volonté de puissance et de domination. Cela a eu pour effet de noyer, d’annihiler ou d’étouffer par des contraintes, des valeurs ancestrales bien établies.

- A la longue cela a donné des États non préparés à la gestion de leurs pays, sans ressources humaines suffisantes et bien formées, de États qui après l’indépendance de leurs pays et faute de mieux, ont tout simplement adopté le modèle de gouvernement du colonisateur, un colonisateur qui ne sera du reste jamais trop loin.

- Dans ce monde globalisé, nous n’occulterons pas les enjeux très fortement politiques et économiques, teintés de luttes d’influence très vives dans une géopolitique compliquée, qui est bipolaire pendant la guerre froide et multiforme aujourd’hui. Cela entraîne des perturbations, aux conséquences plutôt néfastes pour le développement intégré du continent et pour la consolidation de la démocratie. Une démocratie qui peut être mieux assise, si au lieu d’un système purement politique elle relevait d’un système social humaniste, socle initial des cultures africaines.

II-2-4/ Aspects économiques et religieux

- Dans les années soixante, certains pays africains partaient avec le même niveau de développement économique et politique que certains autres pays d’Asie.

- Quelles sont les raisons fondamentales qui peuvent alors expliquer, le retard pris aujourd’hui par ceux d’Afrique ?

- A l’évidence ces raisons sont multiples, certaines sont abordées ici en relation avec l’aspect démocratique de la gestion économique des ressources de ces pays.

- Quelques spécialistes et analystes des questions africaines, sont d’accord pour reconnaître que le continent a un regain d’intérêt économique depuis 2004 – 2005. Ils avouent ne pas en saisir concrètement les raisons profondes, d’après eux celles-ci ne pourront être établies que dans les dix (10) à quinze (15) ans à venir (3).

- D’autres estiment, que l’Afrique doit éviter un développement à la chinoise c’est-à-dire à révolution industrielle, qu’elle doit plutôt adopter un « développement durable ».

- En général, à quelques exceptions près, le début des indépendances a coïncidé à un certain développement volontariste soutenu par l’enthousiasme et la volonté populaires, avec la prééminence des Etats, dans le contexte favorable d’une économie mondiale en pleine euphorie.

- Cette épisode va malheureusement être freinée par les différentes crises énergétiques, les guerres, la crise des matières premières et d’autres facteurs géopolitiques, qui vont conduire le FMI et la Banque Mondiale à imposer en six (6) ans des ajustements structurels, sorte de cure d’austérité drastique pour les Etats et les populations, avec une dévaluation des monnaies. Cela a entraîné des effets économiques désastreux et une sévère régression des services sociaux, sans vraiment contribuer à la réduction de l’endettement des pays africains, pourtant dotés de formidables potentiels en matières premières et énergétiques.

- Comme on le voit, l’Afrique est contrainte d’appliquer des politiques économiques qui sont les reproductions plus ou moins forcées des modèles du Nord, y compris ceux d’Europe de l’Est. Elle est ainsi prise en étau entre différents modèles exogènes de développement.

- Avec en plus la mal gouvernance de ses dirigeants, elle se trouve obligée de se soumettre à des ajustements structurels imposés, qui vont frapper de plein fouet son développement économique, entraîner des crises dont elle n’a ni les tenants ni les aboutissants, crises qui vont avoir un gros effet perturbateur sur l’équilibre socio-politique des pays. A un point tel, qu’en 1995 on a dû renégocier les remboursements et arrêter les ajustements structurels de bien mauvaise presse, en mettant beaucoup plus l’accent sur la démocratie. Il s’en est suivi un désendettement qui a relancé quelque peu l’économie africaine, notamment perceptible en 2009.

- L’Afrique est-elle condamnée à toujours copier des systèmes dont elle n’est pas maîtresse d’œuvre, surtout dans ces moments critiques avec le retour en force des États pompiers dans les crises mondiales monétaires et financières en cours ?

- Les politiques, économistes, cadres, intellectuels africains et les amis de ce continent, doivent se pencher sur cette question, y réfléchir et proposer des solutions.

- L’Afrique doit également utiliser d’avantage sa diaspora, une diaspora qui envoie actuellement plus d’argent que toute la Coopération Internationale. Seulement, peu d’États ont une réelle stratégie allant dans ce sens, comme le font l’Inde, la Chine ou le Vietnam.

- Pour revenir à la démocratie africaine, on doit aussi tenir compte du fait religieux qui est un important paramètre social, ne serait-ce que dans sa capacité d’exacerber ou au contraire d’aider à résoudre des conflits.

- Les groupes religieux peuvent en effet, influencer d’une manière ou d’une autre le cours du processus démocratique dans un pays. Ils ont des implications directes dans les conflits, par leurs chefs qui sont dans des commissions de conciliation et réconciliation et qui apparaissent souvent dans des élections présidentielles, avec les commissions électorales nationales indépendantes (CENI).

III – Cas de la Guinée

- La Guinée est partie prenante de la démocratie africaine. Elle est donnée ici en exemple à cause des conditions particulières de son accession à l’indépendance, de la gestion de cette indépendance et de la conception spécifique de la démocratie chez les différents pouvoirs qui ont été en charge de cette gestion.

- Pays bien doté par la nature, dans son sol et son sous-sol, la Guinée possède d’énormes atouts pour prétendre à un développement correct. Mais elle fait partie des pays les moins avancés depuis de nombreuses années, avec tous les indices de développement humain dans le rouge.

- Sur le plan politique, la Guinée bénéficiait à son indépendance en 1958, des préjugés les plus favorables malgré le contexte conflictuel de son rapport avec la France du Général de GAULLE.

- A ce sujet on peut dire que la Guinée a été l’enjeu de la confrontation de deux personnalités hors normes, Sékou TOURE et le Général de GAULLE, deux personnalités qui se ressemblaient dans une certaine mesure avec leur nationalisme épidermique et un égocentrisme exacerbé. Il était difficile que les choses se passent autrement entre eux.

- Peut-on pour autant, expliquer la situation catastrophique de la Guinée par ces seules considérations ?

- Ne pouvait-on pas malgré tout, construire un autre avenir politique et économique pour ce pays et sa population, avec tant d’atouts au départ ?

III-1 / Les entraves

- L’indépendance de l’Algérie et la perte subséquente des sources d’énergie pour la France, le poids financier de la gestion des colonies ont amené le Général de GAULLE, en visionnaire, à planifier les indépendances des colonies françaises avec probablement en arrière plan l’idée de garder intacts, les dispositifs mentaux qui légitimaient la domination coloniale, à savoir garder tous les substituts économiques à l’Algérie.

- Lors de la réception dans sa tournée de campagne en Guinée, pour le oui au référendum de 1958, va se produire un événement clé qui permet de comprendre en partie la trajectoire de ce pays.

- Dans un discours à tonalité très inhabituelle pour les oreilles du Général, Sékou TOURE rappelle les méfaits de la colonisation, l’attachement du peuple de Guinée à sa dignité et à son indépendance, le choix qu’il fait de l’indépendance dans une collaboration et une amitié avec la France, et finit par lancer :
« Nous préférons la Liberté dans la pauvreté, à l’Opulence dans l’esclavage ».

- Les écrits sur cette épisode des relations franco-guinéennes, détaillent à suffisance l’atmosphère de tension lors de cette cérémonie et la cinglante réponse faite par De GAULLE, qui dit ne faire qu’une proposition de Communauté et laisser l’indépendance à la disposition de ceux qui voudront la prendre, mais précise que ce sera avec toutes les conséquences de cette indépendance.

- Les premières conséquences allaient apparaître dès le vote : un arrêt brutal des projets du jour au lendemain, l’envoi en France ou dans les pays voisins non encore indépendants des documents essentiels à la marche du pays, documents administratifs, techniques, économiques et autres.

- On ira jusqu’à larguer en pleine mer, des machines à écrire et autres matériels de bureau, rien que pour nuire au bon fonctionnement de la toute jeune administration de la Guinée indépendante.

- Il est vrai que souvent la politique passe avant la morale, soit pour des raisons d’Etat dit-on, surtout en matière d’approvisionnement énergétique, soit pour d’autres intérêts supérieurs des pays.

- Mais quand on analyse froidement cette épisode à la lumière des écrits disponibles, on peut affirmer qu’il y a eu dans cette question franco-guinéenne un réel manque d’humanisme, au regard de tout ce que le pays a subi comme dégâts suite aux « sanctions » et au lâchage, tant du point de vue du développement économique, que de la mise en place effective et du renforcement de la démocratie.

- La Guinée a dû se tourner vers les pays de l’Est, vers l’URSS en particulier. Elle va progressivement se refermer sur elle-même dans un instinct de survie, en contrecarrant des tentatives de coups d’Etat, pas tous imaginaires, de fragilisation de la monnaie avec de fausses coupures de la nouvelle monnaie, etc….

- Tous ces faits sont aujourd’hui avérés par les révélations dans les récentes émissions sur la France/Afrique, à l’occasion du cinquantenaire des indépendances africaines.

- Sékou TOURE a toujours eu finalement à se battre contre cette France/Afrique et ses méfaits, le dommage est qu’il ait fait de cette lutte une couverture commode pour justifier toutes les dérives imposées par son régime au peuple guinéen.

III-2 / Le PDG :
Parti-État et les gouvernements militaires (1958 –2010)

- Les entraves exogènes dans la réalisation de la démocratie en Guinée, pour importantes qu’elles soient, n’expliquent pas tout dans la dérive de cette démocratie et l’usage sanguinaire qui en a été fait sur le peuple. De ce point de vue, nous dirons que la démocratie ne doit pas s’exprimer seulement que par le vote, mais elle doit l’être aussi par les comportements.

- Le Parti Démocratique de Guinée (PDG), imposé parti unique dans un maillage serré du pays, va avoir des comportements bien néfastes, avec une affirmation assumée de la dictature de ce Parti au nom du Peuple.

- L’individu, la personne humaine, ne sont alors pas si considérés que cela dans une idéologie de type marxiste, peaufinée dans les cours de formation militante syndicale. Cela a conduit à un régime de parti unique, qui a soumis le peuple à un endoctrinement marxiste à la sauce Sékou TOURE.

- Son pouvoir va devenir totalitaire et son parti, le PDG, prendre le pas sur l’organisation de l’Etat guinéen pour se définir Parti Etat.

- Le drame pour la Guinée, est que cet endoctrinement a duré sur une trop longue période de 1958 à 1984, suivie jusqu’en 2010 de deux régimes militaires à gouvernements civils dont les membres sont presque tous des endoctrinés de la première période, mentalement structurés pour rejeter tout ce qui vient de l’extérieur, particulièrement des guinéens de la diaspora.

- L’absence de démocratie est ainsi manifeste, l’avilissement de l’être humain et la culture de l’impunité dans le pays sont également monnaie courante, comme en témoignent les quelques faits saillants de ces périodes à violences épileptiques, sans vision de projets émancipateurs, dont certains sont cités ci-après :

  • arrestation de tous les enseignants, étudiants et élèves, suite au « complot » dit des enseignants en 1961,
  • pendaisons de 1970, suite au débarquement des portugais associés à des opposants de l’extérieur
  • suppression du commerce, qui entraîne la révolte des femmes contre la police économique,
  • coup d’Etat de 1984 à la mort de Sékou TOURE, suite à une mésentente dans la succession, caractéristique de la faiblesse manifeste des Institutions, exécution sommaire des caciques du PDG
  • tentative de coup d’Etat du Premier Ministre de CONTE, Diarra TRAORE et nouvelle série d’exécutions,
  • mise en ballottage du Président sortant CONTE en 1993, par Alpha CONDE qui sera arrêté et emprisonné pour atteinte à la sécurité de l’Etat,
  • révoltes des jeunes en juin 2006 et en janvier février 2007, entraînant quelques centaines de morts,
  • mort du Président CONTE, déconnecté de la gestion du pays depuis un bon moment pour maladie, avec des Institutions sans véritable signification, en tout cas pas fonctionnelles dans un système politique très incertain, qui ne respecte aucune échéance législative,
  • putch des jeunes militaires avec le fantasque Dadis CAMARA à leur tête, autre épisode folklorique de la gestion du pays,
  • tragédie du stade du 28 septembre 2009 avec ses centaines de tués, de femmes et filles violées,
  • tentative d’assassinat du Président Dadis, qui est exilé au Burkina après des soins au Maroc,
  • élection « démocratique » d’un Président civil fin 2010,

- Voilà donc un pays qui a été soumis à tant de violences physiques, morales et psychologiques, que l’on peut se demander combien de temps il faudra de thérapie efficace, pour effacer les stigmates de tant d’années de plomb.

- Le « non » de 1958 et l’accession à l’indépendance étaient sans doute nécessaires et utiles, mais l’absence d’humanisme et la dérive paranoïaque dans la gestion du pays ont conduit à toutes sortes d’abus sur une trop longue période, avec des Présidents convaincus de leur qualité de « souverains », ne tolérant aucun contrepouvoir, ce qui est totalement inconciliable avec la démocratie.

IV / Perspectives d’avenir pour l’Afrique

- Après ce survol pessimiste de la démocratie africaine, avec son scabreux « modèle » guinéen, on a plutôt tendance au désespoir, d’autant que beaucoup de zones sombres bouchent encore l’horizon démocratique du continent.

- Que ce soit l’influence de la religion mondialisée sur cette démocratie, l’exode des intellectuels et des cadres, l’utilisation des jeunes dans les conflits armés, les réticences à se soumettre à la loi de la majorité, une certaine fragilité des Etats et des élites etc…, beaucoup de facteurs semblent bien négatifs.

- Pourtant l’Afrique semble être à la veille de profondes mutations positives, tant politiques, économiques que démographiques.

- D’une population de 250 millions d’habitants au milieu du 20ème siècle, soit 8% de la population mondiale, l’Afrique en est aujourd’hui à environ un milliard et les études démographiques prévoient le doublement de cette population relativement jeune d’ici à 2050, soit un habitant sur cinq sur le globe. Le grand défi reste d’assurer une bonne formation professionnelle, technique et civique de cette population et de faire le nécessaire pour la mettre au travail et la nourrir convenablement.

- L’Afrique s’est repositionnée en géopolitique, courtisée qu’elle est pour ses ressources minérales, agricoles, hydrauliques et énergétiques, tous des produits dont la flambée des prix lui procure une croissance moyenne de 5%.

- La diversification des partenaires internationaux qu’elle peut se choisir librement et discuter avec eux, de l’utilité ou pas des opérations de coopération, est un autre des facteurs positifs pour elle. Il faut noter que les retombées des richesses produites ne sont pas encore suffisamment orientées vers les populations, ceci à cause de multiples travers liés à leur gestion opaque et au caractère uniquement mercantile de certaines coopérations, comme celle avec la Chine.

- De ces points, de vue on peut affirmer que les premiers responsables de la situation de l’Afrique sont en tout premier lieu les africains eux-mêmes, bien avant les occidentaux, orientaux et autres partenaires.

- Il faudra à tout prix éviter au continent de se retrouver dans un autre cycle de domination, où il ne serait de nouveau qu’un simple pourvoyeur de matières premières, au profit cette fois de l’Asie.

- L’Afrique a une certaine expression collective et une certaine capacité à gérer la sécurité et le maintien de la paix sur son sol. Loin d’être marginalisée, elle se mondialise dix fois plus vite que des pays occidentaux. Mais elle est toujours en quête de reconnaissance au niveau de la gouvernance mondiale. Cette reconnaissance dépend fortement de la capacité des africains à avoir de nouvelles idées, à savoir négocier utilement les nouvelles opportunités d’insertion dans l’économie mondiale, des opportunités offertes par des pays comme le Brésil, l’Inde, la Chine, (BIC).

- Elle compte actuellement une vraie ressource humaine professionnalisée, établie pour une part à l’étranger où elle jouit parfois de la double nationalité, une situation qui n’est curieusement pas toujours bien perçue dans certains milieux à l’étranger comme en Afrique même.

- Elle doit impérativement créer les conditions de réinsertion de cette diaspora, dans le tissu de développement économique et politique des différents pays.

- Un autre des défis à relever pour elle, est de renforcer la volonté politique de mise en commun des forces dans de grands ensembles régionaux, un défi qui l’aidera grandement à acquérir un poids critique significatif, lui permettant de réaliser de grands projets économiques et sociaux et de se faire mieux entendre au plan international.

V / Conclusion

- Le chantier est bien immense pour doter l’Afrique en général et la Guinée en particulier, d’une démocratie effective, qui réponde aux aspirations des populations, comme le respect des lois, la participation des citoyens aux affaires de la Cité, la formation aux mécanismes de représentation politique.

- La reconstruction de son espace, en vue de créer de grands ensembles plus viables et pouvant compter au plan mondial, est un autre axe prioritaire.

- L’Afrique doit retrouver la plénitude de son histoire et de sa culture, pour mieux s’ouvrir sur l’extérieur et les partager dans un échange réciproque de valeurs démocratiques, expurgées des vicissitudes que subissent ces valeurs de façon récurrente en différents endroits du Continent.

- A défaut de remplir ces conditions, les pays africains risquent de continuer à avoir avec le monde extérieur et entre eux, des relations compliquées, marquées par l’incapacité des dirigeants à mettre les populations au travail, un travail qui soit productif et qui accroisse les richesses pour la collectivité, le tout dans une gestion démocratique assurée par des classes dirigeantes, qui auront systématiquement des comptes à rendre de leurs actions.

Abou KATTY

Réf :

1 - L’occident et les autres - Sophie Bessis
2 - Quand l’Afrique s’éveillera - David F. Junior Edit Nles du Sud
3 - Afrique : 50 ans d’indépendance – Ouvrage collectif